PORTRAIT : LAMINE DIASSE, COUTURIER, LE GÉOMÈTRE DU COSTUME

Lamine Diassé est le porte-étendard du costume au Sénégal. Spécialisé dans l’habillement européen, particulièrement dans le vêtement masculin, ce jeune couturier, styliste-créateur a fait de la qualité son credo et de la connaissance sa devise.

 

« Ce que je fais, c’est la sur-mesure ». Tout Lamine Diassé est dans ce souffle. S’émanciper de la facilité. Sortir de l’ordinaire sénégalais. Porter, presque tout seul, le fardeau de la perfection. Le stylisme sénégalais fonctionne en trompe l’œil. Dakar, certes, est une place forte de la mode africaine, mais les stylistes sénégalais aiment renifler le doux parfum de la facilité. Des défilés occasionnels, des médias complaisants, un public peu averti. Suffisant pour certains noms ronflants de la mode sénégalaise. Trop peu pour Lamine Diassé. L’ambition est le carburant qui chauffe ce cérébral de la mode.

Très jeune, Lamine Diassé a appris le métier de tailleur dans le tas. Il fera quelques piges chez le maître couturier Laye Diarra où il fait la connaissance du costume. Il y apprend à mesurer, à tracer, à couper. Responsable de production, il y réalise des costumes sur-mesure pour nombre de personnalités sénégalaises. Mais à force de ciseler l’étoffe, de dessiner des formes et de s’enfermer dans des mesures, le jeune Diassé est pris dans ce tourbillon de questions qui a façonné, avant lui, nombre de grands créateurs. Pourquoi la mode sénégalaise n’est pas normée comme en Europe ? Pourquoi le costume Smalto ou la chemise Hugo Boss sont si parfaits ? Quelles logiques se cachent derrière la production industrielle de vêtements ?

Pour trouver des réponses et donner plus d’amplitude à sa prometteuse carrière, Lamine Diassé décide de reprendre par là où il devait commencer : la formation. Il part en France pour approfondir ses connaissances dans le domaine de la mode, du stylisme et de l’industrie vestimentaire. Il suit une formation à la Fenaph avec des experts de l’Académie internationale de coupe de Paris (AICP). Il rencontre ensuite à Paris Jean-Pierre Houée, expert de l’AICP qui lui apprend la conception du produit, les tracés de base et les secrets de la fabrication française. Ce dernier croit en son talent et le prend sous son aile protectrice.

Le chemin de la réussite

Il fait, en outre, plusieurs stages dans des maisons de couture réputées en France. C’est le chemin de la réussite. Le plus difficile, certes, mais le meilleur. « Mon credo, c’est de comprendre tout de cette activité que j’ai choisie. Aujourd’hui, Dieu merci, j’ai compris », confie Diassé. Et d’expliquer sa démarche : « Si nous voulons aller à la conquête du monde, nous devons comprendre tout ce qu’il y a derrière le vêtement. Il y a des normes à respecter, des méthodes à appréhender, des techniques à assimiler ».

A la différence de nombre de stylistes qui consacrent leurs créations à la femme, Lamine Diassé n’a pas choisi la simplicité. Le costume est, en effet, différent de l’habit traditionnel parce qu’il requiert de la haute technicité. Tracés de base, patronages, gradations (évolution d’une taille par rapport à d’autres) répondent à des normes qui ne s’apprennent pas dans la rue. « Ces techniques ne sont pas enseignées en Afrique. C’est pourquoi j’ai dû faire plusieurs voyages et stages en Europe pour les assimiler. Le costume est un habit européen et l’Europe est jaloux de son savoir-faire », raconte Lamine.

C’est fort de son savoir que le styliste lance son label en 2005. « Dans un premier temps, je ne voulais pas ouvrir un atelier, j’étais plus attiré par la connaissance ». Lamine Diassé passait, en effet, tout son temps entre les livres, qu’il commandait à Paris, et le Net pour débusquer les secrets des grands créateurs européens. « Même dans ma famille, on a cru que je ne voulais pas travailler », confie-t-il. Pourtant, c’est une chose de comprendre, c’en est une autre d’expliquer. Lamine Diassé doit se battre avec des méthodes formelles dans un mode informel. En Afrique, avec un crayon et des ciseaux, on se proclame très vite styliste. « Il est extrêmement difficile d’expliquer à mes collègues que le vêtement, c’est de la géométrie, des formules, des fractions ». Du chinois dans un milieu où, le plus souvent, on se contente de découper des carrés pour en faire des boubous.

Incompréhension

Au début de l’aventure de Lamine Diassé Couture (LDC), la mécanique est grippée par l’incompréhension. Les gens sont dubitatifs. Pourquoi acheter un costume à partir de 200 000 francs alors qu’on peut se le procurer dans le prêt-à-porter à moins de 100 000 francs ? Même ceux qui en ont les moyens préfèrent, le plus souvent, passer leurs commandes à l’étranger. « Nous sommes des complexés qui préfèrent les produits étrangers. Nos dirigeants, pas tous heureusement, ont le complexe de s’habiller chez moi, d’aider un jeune qui a préféré la difficulté plutôt que l’immigration. J’ai souvent partagé des podiums de niveau mondial avec les plus grands stylistes africains tels que Collé Sow Ardo, Aphadi, Diouma Diakhaté, et Laye Diarra qui respectent beaucoup la qualité de mon travail et la ligne de vêtements que je développe »,regrette le styliste.

Pour noyer son spleen, le jeune créateur s’enferme dans son monde intérieur. Il travaille chez lui, toutes les nuits, sur les tracés de base. « J’adore tracer », sourit-il. La principale difficulté, c’est que le costume sur-mesure cible l’élite. Pas le peuple. « Je n’ai pas choisi le costume par hasard », consent Lamine, « c’est le produit le plus respecté au monde, qui ouvre toutes les portes. Dans la plus grande école de France, il faut payer six millions cinq cent mille francs Cfa pour devenir costumier. Dans les grandes maisons de couture en Europe, ce produit se réalise à 5000 ou 6000 euros la pièce ».

Lamine Diassé qui possède le même savoir-faire, qui exploite les mêmes matières premières que ces grandes maisons de couture européennes est, pourtant, une aubaine pour tous ces gens qui dépensent des fortunes à l’étranger pour s’habiller. Certains ministres l’ont bien compris et commencent, timidement, à s’approvisionner chez lui. Le premier à s’approprier sa démarche est Abdoulaye Makhtar Diop. Nommé ministre par Wade, l’actuel Grand serigne de Dakar qui a bien écouté le jeune styliste, lui commande quelques costumes pour le tester. Satisfait par la qualité de ses acquisitions, le ministre lui confie sa garde-robe pendant deux ans. « Je n’achèterai plus mes costumes à Londres », lui glisse-t-il entre deux essayages, le sourire ravi. Avant cette rencontre, le couturier fait la connaissance de Mansour Dieng, le patron d’Icône magazine et communicant bien introduit dans le club sélect des personnalités qui comptent dans ce pays. « Il a cru en moi et n’a pas hésité à m’encadrer dans ma communication et à me prodiguer des conseils très utiles. Il est devenu aujourd’hui mon manager », explique Lamine Diassé.

Partager son savoir

Pour Lamine Diassé, Abdoulaye Makhtar Diop a montré la voie : « Nous n’avons pas besoin de milliards comme cela se voit en politique, nous n’avons besoin que des commandes de l’Etat pour agrandir nos activités. Cela nous permettrait de participer à l’effort de développement en créant des emplois. Pourquoi ne pas nous permettre d’habiller le gouvernement, par exemple ? ».

Au rayon des perspectives, le jeune styliste souhaite ouvrir une grande boutique en ville où les Sénégalais pourront acheter ses produits. Mais son rêve est d’ouvrir à Dakar une grande école de mode. « Si j’avais les grands moyens, je n’achèterais pas des immeubles ou de belles voitures pour m’enrichir davantage, j’ouvrirais un établissement de mode, une filière française pour permettre à des jeunes de se former et aux professionnels de se perfectionner ». Il en est convaincu, pour révolutionner la mode sénégalaise et africaine, « il nous faut de grandes écoles pour enseigner les normes aux stylistes, les fondamentaux de l’industrie vestimentaire, la gestion de la production, les tailles (les normes conventionnelles du vêtement), etc. ». C’est le prix à payer pour être compétitif sur le marché mondial.  Lamine Diassé en est conscient : « J’ai peur de mourir sans transmettre mes connaissances ». © Gawlo.net

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