Créateur de mode sénégalais de renommée internationale, Lamine Diassé qui excelle dans le costume sur-mesure tient au respect des normes. Formé chez Laye Diarra avant de perfectionner ses techniques en France, il aimerait créer une école pour enseigner la technicité qui se cache derrière ce vêtement moderne. Il compte sur l’appui de l’Etat pour y parvenir.
- Entretien avec Sidy DIOP
Qui est Lamine Diassé ?
Je suis un styliste, créateur de mode sénégalais qui fabrique des costumes sur-mesure pour le bonheur de ses compatriotes. Je suis originaire du quartier Thiokhna de Louga, donc un « Ndiambour ndiambour » pur jus. Je suis cependant né à Dakar où j’ai fait mes études jusqu’au cycle secondaire. Je suis ensuite allé faire mon apprentissage comme tailleur pendant cinq longues années. J’ai ensuite travaillé pendant cinq autres années chez Laye Diarra qui m’a initié au métier.
Comment êtes-vous venu à la couture ?
En vérité, je le dois à ma mère qui m’a conduit chez Laye Diarra pour faire mon apprentissage. Pourquoi tailleur ? Je ne sais pas vraiment. Peut-être que ma maman a eu le flair que j’allais devenir quelqu’un dans la mode. A l’époque, quand votre père ou votre mère vous demandait de faire quelque chose, vous obéissez sans rechigner.
Ce n’est donc pas un choix personnel
Non, ce n’est pas quelque chose que j’ai choisie. Je peux même dire que c’est la mode qui m’a choisi. On dit que chaque science a ses hommes. Ma mère a, peut-être eu le flair qu’avec la mode, je pourrai être quelqu’un qui trouverait sa voie. Elle avait vraiment insisté pour que je fasse. J’allais à pied le matin à huit heures et je rentrais à vingt heures à pied également. Je faisais ainsi tous les jours la navette entre la Sicap Baobab où nous habitions et Gueule tapée.
« Mon rêve est de créer une vraie école de mode au Sénégal »
Pourquoi avez-vous choisi le costume comme spécialité ?
Durant mon apprentissage, je faisais un peu de tout. Je montais les tenues de dames, les tailleurs, les tuniques et les chemises. C’était cela ma spécialité au départ. Il y avait cependant beaucoup de personnalités qui venaient à l’atelier pour des retouches sur leurs costumes prêt-à-porter. C’est moi qu’ils choisissaient pour ce travail qui demande beaucoup de doigté et de méticulosité. C’est ainsi que j’ai découvert le costume ainsi que sa valeur. J’avais compris qu’il y avait derrière ce vêtement une technicité qui n’existait pas au Sénégal et que j’avais du mal à comprendre. J’achetais parfois des costumes pour les découdre et comprendre ce qui se cachait derrière. Il est vrai que mon patron, Laye Diarra était aussi très pointu dans ce domaine, mais les costumes de Hugo Boss et d’autres grandes marques m’impressionnaient beaucoup plus. J’aime la technicité et la perfection. Mes études m’ont permis de comprendre ce qu’étaient les fractions, la géométrie, la symétrie, etc. et cela m’a beaucoup aidé à comprendre. Dans la mode, il faut savoir reconnaître et apprécier la qualité. Il y a des normes et des critères à respecter pour faire des produits de qualité. Malheureusement, chez nous, nous privilégions la quantité.
Qu’est-ce qui fait la particularité du costume ?
C’est un vêtement très particulier en ce sens qu’il diffère des autres vêtements en termes de conception et de réalisation. Certains le prennent pour un simple outil de travail, mais il est bien plus que cela. Le costume est avant tout un moyen direct de s’exprimer, d’affirmer son identité. Il valorise aussi celui qui le porte. Il incarne sa personnalité. Dans le monde des affaires, par exemple, il révèle le statut de celui qui le porte. En Occident où il est né, en Angleterre particulièrement, le costume était, à l’origine, l’habillement du chef, de leader, du dirigeant, de l’aristocratie en général. Il est conçu et réalisé pour cette catégorie de gens. Il a donc une profonde signification.
Comment réussir dans un pays où l’importation de vêtements occupe une si grande place ?
Ça nous fait mal, nous les créateurs de subir ce phénomène. C’est l’un des principaux sujets de discussion entre mes camarades créateurs et moi. Mais il faut comprendre que nous sommes un ancien pays colonisé qui, dans beaucoup de domaines, dépend encore de ses anciens colonisateurs. Nous n’avons pas une industrie du vêtement capable de satisfaire le marché local. Nos pays sont obligés d’importer des produits pour satisfaire leurs peuples. Ce que je fais est différent. Le sur-mesure est un vêtement personnalisé, une œuvre d’art. Tout le monde n’y a pas accès parce qu’il y a temps qui lui est consacré et qui revient très cher. C’est cela la différence entre le produit fait main et le produit industriel. Pour l’industrie du vêtement, un costume peut être produit en 45 minutes. C’est ce qu’on appelle dans notre jargon « le temps alloué ». Pour le sur-mesure, le produit est réalisé au minimum plus de 120 heures. C’est ce temps de travail qui fait la différence. C’est aussi un travail fait main différent de celui qui est robotisé. Il faut prendre les mesures du client, fabriquer ensuite la souche, concevoir le patronage personnalisé et faire différents essayages pour le costume sur-mesure. C’est un savoir-faire vieux de plusieurs centaines d’années.
Nous pouvons alimenter le peuple, mais il nous faut l’appui des autorités. En son temps, le général De Gaule avait fait l’option de financer les créateurs de son pays pour asseoir un label français qui, aujourd’hui, est très prisé dans le monde. Par la grâce de Dieu, Lamine Diassé couturier est un label national et international, mais je me suis fais tout seul. Il n’y a une politique de soutien de l’Etat aux créateurs. Nous avons d’énormes difficultés parce que nous avons l’impression que l’Etat ne croit pas en nous. L’artisanat n’est pas aidé or, il est à la base du développement. Toutes les grandes industries du monde proviennent de l’artisanat. C’est dans des ateliers que tout a démarré. Nous avons des idées, nous pouvons réaliser des choses, mais il faut l’appui de l’Etat pour que ces productions prennent une autre ampleur.
Mais que faîtes-vous concrètement pour convaincre les autorités à investir dans ce domaine ?
Nous avons tout fait. Nous ne cessons de leur parler, mais c’est l’esprit politique africain qui pose problème. On ne nous écoute pas. Ces autorités ne cherchent même pas à nous valoriser. On ne peut pas dire que nous n’avons rien réalisé. Nous nous sommes battus pour devenir des modèles dans notre domaine, mais nous avons besoin d’aide pour concrétiser notre ambition. On se bat pour représenter notre pays ici et à l’étranger. Quand on monte sur le podium, on dit toujours « Lamine Diassé from Senegal ». C’est cela notre fierté, représenter notre pays partout dans le monde. Le Sénégal est bourré de talents, d’intelligences, mais nos politiques ne croient pas en nous. Le président de la République est sensible à notre situation mais les structures qui doivent le faire ne nous écoutent même pas. C’est comme si on ne représentait rien du tout. Chaque fois que je vais dans un pays, je fais tout pour aller saluer le consul du Sénégal sur place. Récemment à Niamey, le consul m’a appelé pour me dire sa fierté de voir des fils du Sénégal le représenter brillamment à l’étranger. Il faut qu’on nous aide. Je rêve de créer une école au Sénégal pour enseigner les normes.
Parlez-nous de votre label
C’est un label qui est parti de rien. A l’époque, j’avais ouvert un petit atelier avec une seule machine. J’étais chez moi et j’avais posé ma machine achetée à 200 000 francs à l’entrée de ma chambre. Je faisais des travaux pour des amis et les voisins. Je suis ensuite allé louer un magasin près du stade Demba Diop et j’avais toutes les peines du monde à payer le loyer de 25 000 francs au point de quitter pour aller m’installer à Amitiés. Les gens, grâce au bouche à oreille venaient me confier leurs travaux. C’est ainsi que j’ai acheté une deuxième machine et pris deux employés. C’était difficile au début mais j’assumais. Il n’était pas question pour moi de baisser les bras. Les gens ont finalement compris que je faisais de la qualité et ont commencé à venir acheter mes produits. Je travaillais jour et nuit et je dormais même dans l’atelier. Je n’avais pas d’autre occupation dans la vie à part travailler dans l’atelier, faire la coupe ou faire des recherches pour améliorer la qualité de mon travail. C’est ainsi que grâce à Dieu et la bénédiction de mes parents, je me suis installé avec mon label que j’ai lancé en 2005 J’avais foi en ce que je faisais et j’avais espoir que cela marche un jour. L’espoir est un bon carburant. Il donne des ailes.
J’aime dire que je suis un costumier sénégalais qui pratique la méthode française. C’est en France, en effet que j’ai été formé aux méthodes les plus modernes qui me permettent aujourd’hui de travailler les silhouettes, le style et l’allure de chacun de mes modèles : cintrage appuyé ou doux, silhouette longiligne ou athlétique, etc. Je tiens, cependant, à mon identité et j’essaie d’être toujours en phase avec les tendances et les modes de notre société.
L’autre problème, c’est le prix de vos produits qui ne sont pas compétitifs par rapport aux vêtements importés.
C’est tout à fait normal. Ce sont deux produits qui n’ont pas la même valeur. Les prix ne peuvent être les mêmes. Les meubles produits industriellement en Europe sont moins chers que les produits artisanaux. Les produits faits à la main sont en général beaucoup plus chers. Les montres faites à la main en Suisse ne peuvent pas avoir le même prix que les montres produites à la chaîne.
On peut donc dire que vos produits ciblent l’élite.
On peut le dire, même si je peux dire que mes produits sont accessibles. Il y a des jeunes cadres qui viennent acheter mes costumes. Ceux qui ont compris les avantages qu’il y a à se procurer des produits de qualité viennent acheter chez nous. Chez partout pareil, même en Europe, les gens qui ont compris préfèrent acheter le sur-mesure. Je peux donc dire que mes produits ne sont pas chers comparés aux produits de même qualité faits en France, par exemple. Là-bas, un costume fait main ne s’échange pas à moins de 3000 euros.
Avez-vous convaincu quelques autorités à s’habiller chez vous ?
Oui, quelques personnalités, ministres, directeurs de société, administrateurs viennent de plus en plus s’habiller chez moi. Ils ont les moyens d’aller acheter à l’étranger mais préfèrent le faire chez moi en étant sûrs d’aider un jeune patriote à fructifier son business. Par contre, mon rêve, c’est d’habiller le président de la République. J’habille pas mal de gens qui l’entourent, mais lui n’est pas encore accessible. J’en ai parlé à certaines de ses collaborateurs et j’espère un jour parvenir à l’habiller.
Quels sont les matériaux que vous utilisez ?
En vérité, tous les matériaux que j’utilise sont importés parce que, malheureusement, nous ne produisons même pas des aiguilles chez nous. J’achète tout à l’étranger, les tissus, le fil, les boutons, les machines, etc. Malheureusement, je suis obligé d’attendre les derniers prix pour acheter parce que ça coûte excessivement cher. Si nous voulons nous développer, nous devons penser à installer chez nous des usines pour produire les matières premières que nous utilisons. Il y a trois ans, des représentants d’une grande maison italienne de production de boutons sont venus me voir. Ils voulaient délocaliser leurs usines au Sénégal, mais je n’ai plus eu de nouvelles. Certainement que l’environnement des affaires ne leur a pas plus.
Il y a aussi le problème de la formation. Pourquoi n’y a t-il pas encore d’école digne de ce nom au Sénégal ?
J’ai toujours plaidé dans ce sens, notamment dans des réunions avec l’Asepex. Mon rêve est de créer une école au Sénégal et ce n’est pas compliqué. La science ne nous appartient pas, il faut donc aller la chercher en Occident. J’avais proposé à l’Asepex de créer un pont avec un grand institut français pour créer une école ici. Je peux aller négocier cela. Il y a des écoles qui existent dans le domaine du stylisme au Sénégal, mais il y a un sérieux problème de niveau. Les enseignements ne sont pas aux normes. Aujourd’hui, parce que le Sénégal est en avance en Afrique dans le domaine de la mode, nous devons avoir de grandes écoles dirigées par des créateurs sénégalais avec l’appui de l’Etat et de nos partenaires européens. Ça fait très mal d’avoir des idées et ne pas pouvoir les concrétiser faute de moyens. Il faut une véritable volonté politique pour aider les leaders dans ce domaine.
Je souhaite en outre développer mon affaire en acquérant des machines spécifiques pour améliorer la qualité de mon travail. Ces machines coûtent très cher, parfois plus de 10 000 euros. Or, les banques ne veulent pas toujours nous accompagner ou nous demandent de substantielles garanties.